Theodore Zeldin :

La France est une idée, beaucoup plus qu’un territoire. En effet, la France croit en la perfectibilité de l’Homme. C’est pour cela que les autres pays peuvent la considérer comme un modèle. Sa force est d’inviter les gens à développer des idées universelles plutôt que nationales. Dans l’histoire de France et celle de l’Angleterre, la différence entre les deux quêtes de liberté, c’est que les Anglais ont inventé la liberté pour eux-mêmes, alors que les droits de l’Homme sont universels. Si beaucoup de nations cherchent encore à se distinguer des autres, et se penchent sur leur propre histoire plutôt que sur les besoins de l’Homme en général, la France, elle, est un modèle alternatif.
En outre, peu de pays apprécient autant que la France les plaisirs de l’intelligence et de la conversation. C’est un pays où l’on peut discuter de tout, découvrir ses propres potentialités et rencontrer des stimulations intellectuelles pour approfondir ses pensées. La France est un lieu de rencontres et d’échanges où les penseurs peuvent se nourrir intellectuellement. Et, dans un monde où les gens sont fatigués et recherchent des situations simples, la France a quelque chose d’original à maintenir.
« La France croit en la perfectibilité de l’Homme »
Mais si la France est un pays d’avant-garde, elle est aussi un pays de traditions. Et je vois dans sa préoccupation actuelle autour de la loi des 35 heures comme la fin d’une époque plutôt que le début. On a inventé la société des loisirs pour compenser le fait que le travail, tel qu’il a été développé par la révolution industrielle et la révolution technologique, est pour la plupart épuisant, stupide, routinier. Plus on éduque les gens, plus ils sont exigeants sur le type de travail qu’on leur offre. Avant les 35 heures, les ouvriers essayaient de se protéger contre le travail. Et maintenant s’ouvre une nouvelle ère, où l’on attend que le travail apporte une meilleure connaissance de la vie, des expériences plus élargies. Bref, il doit être éducatif. C’est dans cette direction que la France peut donner des idées et transmettre son expérience par ce que je considère comme étant son ambition profonde, la perfectibilité de l’Homme. On attend donc beaucoup de la France, et je suis toujours impressionné par les valeurs qu’elle proclame - cette croyance qu’il y a dans chaque individu des qualités que l’on doit développer par l’éducation grâce à l’égalité des chances, aux incitations à la discussion, à l’amitié, et tout ce qui rend un homme sociable.
Enfin, cette catastrophe que la France a subie récemment dans ses forêts lui donne la chance d’inventer une nouvelle vie rurale qui n’est pas la vieille vie rurale en opposition à la Ville, mais une vie qui serait la synthèse de tout ce que nous avons développé jusqu’à présent, c’est-à-dire une vie sans les nuisances développées aux XIXe et XXe siècles. L’avenir de la France va dépendre de sa capacité à continuer de penser de façon originale.